Art moriendi, homélie aux mourrants

Suggestion de musique : album Aion de Dead can dance

(source art moriendis, 1492)

S’ensuit une très dévote méditation de l’âme qui pense à sa séparation du corps pour avoir lors du secours.

Qui sera mon loyal ami, mon fiable secours à mon dernier combat, à la difficile heure de ma séparation de mon corps ? Qui m’aidera lors, qui parlera ou répondra pour moi ? Qui me délivrera quand je serai appelé devant le très épouvantable jugement du Souverain Seigneur, quand les ennemis m’environneront de toutes parts et m’accuseront de maintes façons, quand ils s’efforceront de m’entraîner au feu d’enfer éternel, quand ma conscience précisément at mes oeuvres rendront témoignage contre moi ?

Sera-ce lors le monde et les amis charnels qui m’aideront? Non vraiment, mais ils me laisseront aller mon chemin. Sera-ce le corps à qui j’aurai tant servi et auquel j’aurai donné toutes ces aises et tous ces plaisirs ? Certes, encore rien ne pourra moins m’aider que le monde, car il gésira puant et pourri à terre, et viande à vers. Sera-ce quelque plaisir des choses extérieures comme honneur, gloire, puissance, grands états, pompes et richesses, et plusieurs et diverses manières de jeux et divertissements ? Certes non. Ainsi, quand je songerai à retourner aux portes du corps pour trouver les plaisirs accoutumés et quérir les vaines consolations et louanges du monde, hélas ! hélas ! et plus de cent fois hélas ! en cette difficile et épouvantable heure de la mort, je trouverai les yeux, les oreilles, le goût de la langue et le toucher par lesquels la joie avait l’habitude de venir, je les trouverai déjà clos et fermés par la très forte et horrible serrure de la mort.

Lors, que ferai-je, lasse, chétive, où me retournerai-je ? Qui appellerai-je ? Que demanderai-je, si à cette heure je n’ai aucune aide, aucun réconfort et consolation qui me puissent venir d’ailleurs que du corps? Il est certain que, si avant cette heure je ne me suis fait aucun ami qui m’apporte aide et réconfort, je succomberai par abandon, et tomberai en irrévocable damnation.

Selon que dit le philosophe au tiers livre d’Ethique en parlant des choses terribles et épouvantables qui au monde peuvent advenir, le plus terrible cas qui puisse advenir à l’homme est la mort. Car la mort est abolition de tous biens, et ainsi il dit au livre du Dédain du monde : « La mort tranche et abat grands, petits, jeunes, vieux, pauvres, riches, rois, ducs, comtes, princes, barons, chevaliers, dames, demoiselles, et généralement toutes choses que la nature a créées. » Aussi est-elle bien terrible cette chose que nous pouvons bien clairement connaître, si nous regardons aux faits d’Alexandre le Grand qui, par armes et force corporelle, fut dit avoir conquis la monarchie du monde et sur tout dominer. Il ne trouva jamais un ennemi, aussi fort fût-il, qui le put vaincre, et toutefois la mort, sans fer ni armes, le vainquit et mit si bas, que toute la puissance qu’il avait ne put le préserver ni garder. Et pourtant le philosophe dit bien vrai que de toutes les choses terribles qui sont au monde, la mort est la plus terrible. Et il n’est pas étonnant que les sages contemplatifs la craignent, car c’est un long voyage inconnu duquel un ami ne peut venir dire ou demander des nouvelles à l’autre.

Et le philosophe l’a dit en parlant de la mort naturelle qui est séparation du corps et de l’âme. Mais, outre cette mort mortelle qui est tant cruelle et terrible, les docteurs contemplatifs de notre foi disent qu’il est une autre mort nommée la mort de l’âme, qui, sans comparaison, est plus horrible et plus abominable que la mort corporelle. AU moment de la mort, l’ange et le démon sont au pied de son lit et lui parlent longuement.

La première tentation que le Diable envers l’âme de l’Homme.

« Le grand archange Samael parle et dit : O méchant et malheureux que tu es, crois-tu

que ce qu’on te prêche soit vrai et que toi, qui es homme plein de péchés soit rachetable et digne d’avoir le paradis plus que les anges qui pour un seul péché, ont été damnés ? L’enfer est fait pour tous les pêcheurs universellement et, quelque pénitence que tu fasses, tu n’en peux jamais échapper. Considère la pénitence de Judas qui se pendit lui-même et toutefois il est damné. De plus, regarde les rois païens qui, si dévotement, adorent leur idoles et vrais dieux qu’ils voient devant eux, et tu adores et crois ce que tu ne vois, et adores une chose inconnue, ce qui est pour toi une grande folie. Avec cela, tu n’a aucune preuve de ta croyance, car aucun de ceux qui y sont passé n’en n’est revenu dire la vérité, et tu dois croire encore plus le contraire de tout ce qu’on te prêche. ‘

« Le grand archange Mettatron répond : 0 homme, qui es formé de la terre et qui dois retourner en terre, reconnais ton Créateur qui a créé ton âme et l’a faite à sa propre ressemblance ; garde-toi bien de croire aux suggestions pestiférées et mortelles du diable, parce qu’il n’est qu’un menteur et, en quelque flatterie qu’il te donne, il n’y a aucune apparence de vérité. Toutefois, la fin de tout son fait n’est que tromperie, et qu’il te souvienne que, premièrement, il déçut Adam et Eve nos premiers parents et les fit pécher par mensonge quand, par son faux conseil, il leur fit goûter du fruit défendu en leur promettant et disant que, grâce à cela, ils pourraient être immortels. Pour cela l’ange dit « Mon ami, garde-toi bien qu’en aucune manière tu ne doutes de la foi ; admets que ton entendement ne puisse comprendre d’aussi grande chose que la foi de Dieu et qu’il t’est plus profitable de ne le point connaître sensuellement. Si tu le connaissais et pouvais bien l’appréhender, cela ne te serait point méritoire. »

S’en suit la seconde tentation

« Le grand archange Samael parle et dit : Toi, méchant, qui as foi en Dieu, lequel t’a fait tant de biens et tu l’as offensé si grandement, comment crois-tu qu’il ait miséricorde de toi, quand tu as négligé de confesser les péchés que tu as commis envers lui. et n’as pas voulu les reconnaître. Les voici, je les ai en mains en écrit et n’espère jamais que tu sois à d’autres qu’à Moi ou autrement Dieu ne serait pas un vrai juge. Tu as été à lui par la grâce, mais tu es à moi par le péché. Tu devrais naturellement être  à lui, mais par ta misérable volonté tu as perdu ton légitime héritage et es à moi comme prisonnier perpétuel acquis de bonne guerre. Dieu t’avait acheté par le mérite de sa passion et je t’ai enlevé et furtivement acquis par ma tentation. Tu étais fils de Dieu par obéissance, si tu eusses gardé ses commandements, mais tu es fils du diable par consentement, dès que tu les as transgressés. Tu as laissé l’habit d’immortalité que Dieu, par grâce, t’avait donné et as pris l’habit de damnation et de toute peine par les grands et énormes péchés dont tu es vêtu et enveloppé, ainsi qu’il apparait en ce présent livre où tous tes péchés, et spécialement ceux dont tu ne fis jamais aucune pénitence, sont écrit et rédigés pour souvenance. »

« ce à quoi répond le grand archange Mettatron contre le désespoir : Homme, pourquoi

Te défie tu de la miséricorde de Dieu, doutant qu’il ne te veuille ou puisse faire grâce, si de coeur dévot et contrit tu le lui demande ? En admettant que tu aies ou eusses commis autant de larcins ou de meurtres qu’il y a de gouttes d’eau en la mer ou de graviers, même si toi seul avais commis et perpétré tous les maux et péchés quels qu’ils soient, qui jamais ont été, sont et seront faits en tout le monde contre la bonté de Dieu ; en admettant qu’aussi tu ne les eusses jamais confessés ni n’en aies fait aucune pénitence, ni même que pour le présent tu ne puisse les confesser ni en faire  pénitence, en un tel cas seule la contrition de coeur suffit. »

S’en suit la troisième tentation du diable, l’avarice

« Le grand archange Samael parle et dit :  0 méchant homme que tu es, à cette heure peux-tu connaître qu’en toi est grande méchanceté et malheur, quand, si soudainement, il te faut laisser tout et de si grands biens mondains que tu as eus tant de peine à acquérir, et maintenant, à l’heure que tu en dusses jouir et vivre à ton aise, tu les perds ; ta femme aussi, tes beaux enfants que tu as tant aimés, que tu laisses dépourvus et ne sauront après toi ce qu’ils devront faire ; tes beaux manoirs, tes belles maisons, tes beaux édifices, qui les maintiendra après toi ? Tes grandes marchandises, tant en mer qu’en terre, qui les conduira ? Tu laisses tout au moment d’en devoir jouir, avoir de l’honneur et en faire du bien. Voici ta femme, tes petits enfants que tu laisses désolés, et tels qui leur portent honneur les fouleront aux pieds. Tu meurs trop tôt et cela t’eût été d’un grand profit si tu eusses pu vivre. »

« ce à quoi répond le grand archange Mettatron contre l’avarice : O homme, détourne tes oreilles des mortelles et dangereuses suggestions du diable, qui totalement s’efforce d’anéantir en toi la cogitation que tu dois avoir au salut de ton âme. Laisse et mets de côté la cogitation des choses temporelles. Et souviens-toi que toi-même n’es que cendres, que de cendre es venu et que tu retourneras en cendre. De plus souvient-toi que, quand tu vins au monde, tu n’avais rien, mais naquis tout nu et qu’ainsi il te faut retourner ; que pour le salut de ton âme, il est nécessaire que volontairement tu renonces à toute chose temporelle »

S’en suit la quatrième tentation du diable, l’impatience.

« Le grand archange Samael parle et dit :  O méchant, comment peux-tu souffrir une si pénible douleur, qui est intolérable, toi qui ne l’a pas mérité et qui est pour toi tellement inutile et sans profit ; il apparait bien que Dieu t’a abandonné quand, en si grande douleur et affliction, il te laisse sans réconfort. Et qui est d’autant plus pénible, qu’il n’y a personne qui soit compatissante à ta douleur, ni qui ait pitié de toi, ce qui est contre toute raison. Tu dois bien avoir grand dépit en ton cœur,  quand, même ta femme, tes enfants et proches successeurs, sont ceux qui en leur pensée désirent et fêtent volontiers ta mort, principalement pour avoir toute ta succession. Combien de bouches et d’yeux pleurants et marris ils montrent, ce qu’ils ne sont pas. Et il te montre le plus beau signe d’amour celui qui, après la séparation de ton âme, voulut pour toutes les subsistances que tu leur laisses, loger et garder ton corps mort seulement pendant un jour, ce dont tu dois être courroucé et murmurer en ton cœur qu’il faille qu’une si grande douleur te tienne sans aucun réconfort ! »

« ce à quoi répond le grand archange Mettatron contre l’impatience : «O homme, ôte ton ardeur d’impatience par laquelle le diable avec toutes ses mortelles et damnables instigations ne cherche autre chose que la ruine et la perdition de ton âme. Car, par impatience et murmure, l’âme est perdue, de même que, par la patience, elle est possédée. C’est pourquoi, dit l’ange, mon ami, que la grandeur ou la longueur de ta maladie ne te chagrine pas ; si tu la considères bien, tu la trouveras petite et légère au regard de tes méfaits. De plus, cette maladie que Dieu t’envoie avant ta mort, peut t’être un purgatoire, car nous ne le devons pas seulement remercier des choses qu’il nous donne pour notre consolation, mais, pareillement, de ce qu’il nous donne pour notre affliction. »

S’en suit la cinquième tentation du diable, la vaine gloire.

« Le grand archange Samael parle et dit :  O vaillant chrétien que tu es, considère combien tu as été constant et ferme en la foi, fort en espérance, envers Dieu charitable et patient en tous tes faits ; et combien d’oeuvres méritoires et dignes de louange tu as faites. Tu dois bien avoir en toi une grande gloire, et te glorifier, car tu n’es point comme les autres hommes qui ont perpétré et fait des maux infinis. Toutefois, par un seul gémissement et regard qu’ils ont eu envers Dieu, ils ont eu le salut qui t’est bien mieux dû qu’à eux, car tu as toujours vécu vertueusement et en bonnes oeuvres, résisté aux vices et tentations ainsi qu’un bon chevalier. Par quoi tu dois bien t’estimer et demander à Dieu un siège de gloire devant tous les autres, car, de droit, il ne te peut être refusé, parce que tu as toujours virilement et légitimement bataillé pour la foi de Dieu. »

« ce à quoi répond le grand archange Mettatron : 0 pauvre pécheur, pourquoi t’enorgueillis-tu en t’attribuant la constance que tu as eue en la foi, l’espérance, la patience et la résistance contre l’avarice, dont la gloire seulement en appartient à Dieu ? Car il n’y a en toi aucune chose de bien ni digne de mérite, ainsi que le dit Notre Seigneur : « Sans moi vous ne pouvez rien faire» . De plus il est écrit ailleurs : «Ne te donne point d’arrogance . Ne te vante point . Ne t’élève point insolemment par orgueil . Ne présume rien de toi . Ne t’attribue aucune chose de toi-même» . Parce que Notre Seigneur dit : « Qui s’exalte sera humilié» . Notre Seigneur dit à ses disciples, montrant un enfant innocent : « Si vous n’êtes point aussi humble que ce petit enfant innocent, vous n’entrerez point au Royaume des cieux. » C’est pourquoi nous devons bien nous humilier, parce que Dieu a dit : « Qui s’humilie sera exaucé» . Et saint Augustin dit : « Si tu t’humilies Dieu descendra vers toi, mais si tu t’exaltes par vaine gloire Dieu s’éloigne de toi. » C’est pourquoi l’ange dit : « Mon ami, ôte de ta pensée ce maudit orgueil qui fit de Lucifer, le plus beau des anges, le plus laid et le plus vilain de tous les diables, le jeta du haut du ciel jusqu’au fond de l’enfer, et qui est la cause de tous les maux. Comme dit saint Bernard : «Le commencement de tout péché et la cause de totale perdition est l’orgueil. »

 

Pour conclure ces mots de Saint Augustin : La paix de Notre Seigneur Jésus-Christ, la vertu de sa passion bénie, le signe de sa sainte croix, la très entière et pure intégrité de la Vierge Marie, la bénédiction de tous les saints et saintes, la garde des anges et de toutes les intercessions et suffrages des élus de Dieu soient entre moi et mes ennemis visibles et invisibles en cette heure de ma mort. Amen.

Texte préparé pour l’enterrement de mon père, le 15 août 2018

Lux in extensionem,

G.H.F. soror S.L.V.
Fondatrice de l’ordre Magicrucien de l’Aube Dorée

Une réflexion sur « Art moriendi, homélie aux mourrants »

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